Le carnet d'Intima
Nichée dans le département de la Loire, dans le petit village de Cervières, La Maison des Grenadières est un atelier et un musée qui renferme un savoir-faire ancestral : la broderie d’or au fil d’or maîtrisée par les brodeuses dites « Grenadières ». Immersion au sein d’un artisanat précieux de notre patrimoine.
Rapportée d’Asie par les croisés à l’époque du Moyen-âge, la technique de borderie d’or au fil d’or était à l’origine au service des rois de France. C’est sous le règne de Napoléon que ce savoir-faire, exclusivement exercé par des hommes, fut remis au goût du jour pour décorer les uniformes du corps d’élite militaire « les Grenadiers » qui tire son nom du motif du symbole de la grenade ornant leurs tenues. A la fin du XIXe siècle, la vallée de Vêtre voit l’apogée de cet art qui se démocratise sous les mains virtuoses des paysannes-brodeuses appelées « Grenadières », travaillant à domicile pour parer des pièces militaires, de hauts-dignitaires ou encore liturgiques. Et c’est entre les deux guerres, sous la houlette de deux sœurs à Saint-Julien Lavette, que la broderie au fil d’or connaît son âge d’or jusqu’en 1950 où les commandes affluent du monde entier, avec des quantités qui pouvaient atteindre les milliers pour des corps comme celui de la Marine.
C’est pour préserver ce savoir-faire unique que l’activité des Grenadières se patrimonialise et que la Maison des Grenadières atelier-musée ouvre ses portes en 2002. Le musée présente le travail des Grenadières, expose leurs réalisations, retrace l’histoire de cet artisanat et propose des démonstrations lors de journées particulières comme celles du patrimoine.
On y trouve entre-autre des pièces vintages tels que des blasons ou écussons des Maisons Chanel, Hermès ou Givenchy et des expositions temporaires comme l’une d’elles qui était dédiée aux corsets. On peut aussi y découvrir les différentes techniques de broderie, comme par exemple, la cannetille, conçue avec un fil de cuivre électrolysé dans un bain d’argent ou d’or, puis enroulée pour former un tube avec du volume, le filé technique de broderie identique endroit et envers, ou le jaseron en forme de ressort pour mieux capter la lumière et renvoyer des reflets métalliques intenses pour les tenues d’apparat.
L’approvisionnement des fils se fait historiquement, et encore aujourd’hui, chez Carlhian, spécialisé dans la fabrication de dorures et passementeries dans la région lyonnaise. Outre des commandes illustres comme celles pour les Francs-maçons, pour les tenues d’académiciens brodées avec un fil de soie, ou pour des costumes de sous-préfètes ; le musée continue de faire vivre son patrimoine en collaborant avec d’autres savoir-faire comme les couteaux d’Art de Thiers ou de jeunes sociétés comme The Comptoir qui leur a récemment commandé des kits de broderie.
Aujourd’hui, l’expertise se raréfie et les Grenadières se comptent sur les doigts de la main. Parmi elles, Azélina Michelet, qui intervient régulièrement au musée pour faire des démonstrations, a toujours eu la vocation. Petite, elle se vouait déjà à un travail manuel et s’est essayée à la broderie dès l’âge de 6 ans avec sa grand-mère. Ce fut le coup de foudre et c’était décidé : « Je serai brodeuse même, si l’activité paraissait ringarde à l’époque ! ».
Azélina intègre le lycée professionnel Gilles Jamain à Rochefort, l’un des rares qui forme aux métiers de brodeuses. Elle enchaîne avec un Brevet des Métiers d’Art spécialisé dans la broderie au fil d’or et obtient ensuite un diplôme des Arts Costumier et Réalisateur qui lui permettent d’affiner sa technique. Pour enrichir ses connaissances, Azélina part à Madrid où elle orne de fils d’or les habits de lumière des toreros, « la technique est différente, car le savoir-faire en Espagne est lié à la culture du pays. Cette immersion au cœur du patrimoine et des ateliers espagnols fut complémentaire à mes études en France ».
Puis, lorsqu’elle rentre à Paris, elle travaille pour le Moulin Rouge, pour les Ateliers de Cécile Henri et Paloma, appartenant à Chanel Métiers d’Art, où elle brode sans relâche, en tant qu’échantillonneuse, des pièces de luxe et de haute-couture pour Givenchy, Chanel, Dior, Balenciaga ou Louis Vuitton. Puis, Azélina continuera avec la même passion à transposer des échantillons de broderie sur des robes de rêve pour la Maison Lesage. Et le métal précieux, plus que tout autre, fascine Azélina qui lui voue tout son talent de brodeuse, car « c’est une matière froide à la base, mais qui apporte une lumière, une émotion, une chaleur intense, une fois qu’elle est brodée sur un vêtement ».
« Ce fut une expérience, un challenge technique, créatif et une chance incroyable de travailler dans ces ateliers où le luxe était mon quotidien ! » nous confie Azélina, qui aujourd’hui, aspire à plus de lenteur. Chez elle, elle crée à présent de petites pièces précieuses comme des bijoux avec le même amour, les mêmes techniques, les mêmes gestes précis et ce même « fil d’or qu’elle adore ». Azélina adapte la technique ancestrale à des pièces modernes et précieuses, elle manie avec précision le fil métallique lyonnais qui vient s’entortiller, tel un ressort, pour mieux capter la lumière, sur les formes en carton qu’elle brode avec patience et adresse.
« Je réponds aussi à des commandes spécifiques de la Maison des Grenadières, comme par exemple pour broder un tambour qui sera exposé afin d’illustrer les différentes méthodes de broderies. C’est un exercice très intéressant, car cela me permet de me perfectionner dans les différentes techniques ». Elle donne également des cours d’initiation au musée pour former et sensibiliser le grand public, car c’est devenu un rêve pour la brodeuse de transmettre au plus grand nombre son savoir-faire d’orfèvre et en particulier auprès des plus jeunes.
Ainsi, le musée-atelier propose des cours de découverte de la broderie d’or au fil d’or de deux heures tous les troisièmes samedis du mois, d’avril à novembre, et tous les samedis matin en juillet et août. Outre l’initiation à la technique, les stagiaires repartent avec le matériel nécessaire pour continuer l’apprentissage à la maison. Pour les plus aguerris et professionnels du textile, le musée propose également des formations en partenariat avec l’Association des Grenadières, créée en 2012, qui œuvre pour la sauvegarde de ce savoir-faire unique et promeut l’artisanat du luxe de la Loire.
Outre ses formations autour de la technique de broderie d’or au fil d’or, La Maison des grenadières propose d’autres ateliers autour de la couture comme celui « Atelier Culottes » qui a eu lieu le 19 novembre dernier et dont l’objectif est d’initier à la réalisation d’une « culotte responsable ». Ainsi, Emma professionnelle, propose aux participants d’apprendre à confectionner la délicate pièce à base de tissus lingerie récupérés ou chinés. Les élèves, qui doivent déjà avoir l’habitude de coudre, appréhenderont à assembler les jerseys, travailler la dentelle, poser les élastiques et repartiront avec une culotte de la taille de leur choix.
Dans le petit atelier du musée, inlassablement, Azélina perpétue les gestes ancestraux des Grenadières : elle monte la toile à beurre sur le métier à tisser, puis l’encolle avec un mélange de farine et d’eau. Par-dessus elle pose son feutre ou son drap de laine qu’elle va ouvrager grâce à un motif dessiné sur papier calque qu’elle a piqué puis poncé. L’étape est délicate, elle consiste à trouer le papier, puis à le saupoudrer d’une encre poudreuse qui va se transférer sur la matière. Ensuite, Azélina applique une découpe en carton pour donner du relief avant de commencer à broder son dessin. La brodeuse s’empare enfin de la précieuse spirale brillante, mate ou frisée et renforcée par un fil préalablement enduit de cire d’abeille pour le rendre lisse et résistant à l’usure du métal ; puis l’enroule sur son aiguille pour orner son tissu. « Le doigté est méticuleux, exigeant, passionnant et demande une grande régularité dans le point puisque je travaille au millimètre près. C’est un geste émouvant qui permet de s’exprimer et de débrider sa créativité en l’associant à ces savoir-faire » nous confie Azélina.
Au fur et à mesure, Azélina n’a de cesse d’améliorer son Art, car pour elle, « c’est un savoir-faire extrêmement rare et ancestral qui demande une dextérité élevée et ne s’acquière qu’avec une pratique régulière pour atteindre la perfection que je recherche » nous dit-elle. La broderie d’or au fil d’or pour Azélina est toute sa vie et c’est aussi « une matière vivante, qui se transforme, évolue et réagit à l’humidité, à la chaleur. En s’oxydant sa ternissure change les objets, les vêtements ; elle leur apporte un charme fou, leur donne un autre visage qui m’émeut, quelle que soit sa métamorphose au grès du temps ». La brodeuse n’a jamais eu l’opportunité de travailler sur des pièces de lingerie ou des robes de mariées et nous avoue que ce serait un résultat enivrant que ce mariage entre la préciosité du fil d’or et celle des matières fines comme la dentelle.
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