Le carnet d'Intima
26 July 2018
Du bikini (1946) au burkini (2004) en passant par l'apparition du monokini en 1964, la disposition des femmes à dévoiler leur corps en été a toujours suscité d'intenses débats tant la pratique de la nudité semble révélatrice du déplacement des normes de pudeur et du degré d'acceptation sociale du nu. Alors que les polémiques sur le sujet resurgissent régulièrement (citons par exemple le burkini en France en 2016 et le bikini en Algérie en 2017), l'Ifop a publié une enquête* permettant de faire le point sur l'évolution des comportements des Françaises en matière de nudité sur les plages en été tout en les comparant aux pratiques observées dans les principaux pays d'Europe et d'Amérique du Nord. Réalisée auprès de 8.000 femmes, dont 1.000 françaises, cette enquête confirme l’impression selon laquelle le monokini perdrait du terrain auprès des jeunes générations sans forcément y voir le signe de la montée d'un certain puritanisme.
Ici, au travers de son Observatoire Mondial de la Nudité Féminine, l’Ifop nous présente les principaux enseignements de cette grande enquête et ce qu’il en est des femmes et de l’exposition de leur corps durant l’été… et dans l’intimité !
*Réalisée auprès d’un échantillon représentatif de la population féminine âgée de 18 ans et plus en Europe – Italie, Espagne, France, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni – et en Amérique du Nord – Etats-Unis et Canada – cette étude de l’Institut Ifop pour le compte du site Plaisx a été réalisée en juin 2017.
Vers la fin des seins nus à la plage ?
Symbole d'émancipation des femmes et de leurs corps observé sur les plages françaises à partir des années 1960, la pratique des seins nus apparait aujourd'hui en perte de vitesse chez les jeunes générations. D'après les résultats de cette enquête Ifop – Plaisx, seules 29% des Françaises ont déjà retiré leur haut sur une plage et le nombre d'adeptes du « topless » apparait en net recul par rapport aux années 80 : à peine 22% des femmes de moins de 50 ans admettent s'être déjà mises seins nus à la plage en 2017, contre 28% en 2009 et 43% en 1984.
Ainsi, alors que les Françaises furent parmi les pionnières en la matière (L'usage du monokini sur les plages publiques aurait débuté sur la Côte-d'Azur en 1964), la France est aujourd'hui loin d'être le pays où cette pratique est la plus répandue… En effet, d'après les résultats de cet observatoire mondial de la nudité féminine, les Espagnoles occupent désormais la première place du podium (49%), loin devant les Allemandes (41%) et les Néerlandaises (35%), pourtant ressortissantes de pays où la culture du corps libre (« Freikorperkultur ») est forte.
Le nombre d'adeptes en France (29%) est quant à lui à peine plus élevé qu'au Royaume-Uni (26%) mais sensiblement plus qu'en Italie (20%), pays très catholique où l'acceptation sociale de la nudité est encore faible. Habitant des pays où la législation sur le topless à la plage est globalement plus contraignante qu'en Europe, Américaines (11%) et Canadiennes (11%) ferment assez logiquement la marche de ce classement.
Mais quelles sont ces Françaises qui pratiquent le « topless » ?
L’observation de la pratique du topless chez les femmes françaises nous renseigne sur des caractéristiques particulièrement intéressantes à étudier. Cette pratique est davantage le propre de femmes mûres que celui des jeunes générations. Elle touche par ailleurs des profils au niveau culturel élevé avec une tendance marquée pour le vote à droite de l’échiquier politique.
L’impact de la libération sexuelle post-68 se ressent davantage chez les générations déjà adultes ou presque dans les années 1970/1980. La pratique du topless se retrouve ainsi particulièrement :
- Chez les femmes mûres : plus du tiers des 50-69 ans ont déjà expérimenté le topless et le quart d’entre elles (23%) découvre régulièrement sa poitrine à la plage. A l’opposé, seules 6% des jeunes de moins de 35 ans se mettent régulièrement seins nus au bord de la mer. Il existe ainsi une forte différence générationnelle dans l’exposition de la nudité chez la femme.
- Chez les Françaises ayant un niveau social et culturel supérieur à la moyenne : les femmes bénéficiant d’un capital social et culturel important semblent plus à même d’être seins nus en public. Le niveau de diplôme est aussi déterminant : alors que les diplômées du 2ème cycle sont 35% à pratiquer le topless, elles sont seulement 24% chez les peu ou non-diplômées.
- Chez les femmes habitant le midi : Près de la moitié des femmes du Sud-Est (42%) et le tiers des femmes du Sud-Ouest (34%) ont déjà retiré le haut de leur maillot à la plage alors que leur part ne dépasse pas le quart dans le Nord, l’Est et le Nord-Ouest. Le climat et la proximité des stations balnéaires chaudes joueraient un rôle dans l’inclination à découvrir sa poitrine.
Mais il est intéressant de relever que les adeptes du topless se distinguent aussi par :
- Un jugement sur leur propre physique plutôt positif : 36% des femmes « assez satisfaites » pratiquent le topless contre 19% chez celles qui jugent négativement leur physique. L’impact de la confiance en soi est d’autant plus marqué pour les pratiques régulières.
- Des physiques normaux ou maigres : notre étude nous montre que les femmes plus minces ont tendance à être plus satisfaites de leur physique, et celles caractérisées par un physique normal ou maigre (selon leur IMC) découvrent leur poitrine plus régulièrement que les femmes obèses ou en surpoids.
- Une vie sexuelle plus diversifiée que la moyenne : ces femmes sont d’autant plus nombreuses qu’elles ont eu beaucoup d’amants au cours de leur vie. L’effet de la surreprésentation des aînées est sûrement déterminant mais l’on peut aussi établir un lien avec des comportements plus résistants à la pression sociale.
Alors que la pratique du topless semble davantage concerner les femmes mûres, les nouvelles générations pourtant baignées dans des environnements où la nudité est accessible en quelques clics, sont sans doute moins à l’aise à l’idée de se découvrir en public. L’antagonisme entre la diffusion d’une culture sexualisée et une conception plus restrictive du corps transparaît ainsi dans les résultats de cette étude.
L'Espagne, la nouvelle patrie du naturisme ?
En France, le recul de la nudité sur la plage en été transparaît également dans la baisse de l'expérience du nu intégral, passée chez l'ensemble des Françaises de 13% en 2009 à 9% en 2017. Le noyau des adeptes du nudisme, c'est-à-dire celles s'y adonnant « assez régulièrement », s’avère toutefois assez stable entre 2009 (6%) et 2017 (5%). La France demeure ainsi un pays où la pratique du naturisme reste en deçà de ses voisins d'outre-Rhin même si les résultats tordent quelque peu le cou aux clichés selon lesquels les pays germaniques seraient forcément les patries en pointe du naturisme.
De par son climat chaud, ses nombreuses plages et sa législation très libérale en la matière, l'Espagne arrive en tête en matière de nudité intégrale : une espagnole sur quatre (25 %) s’est déjà mise toute nue sur une plage ou dans un camp naturiste. En tant que haut lieu du naturisme où il a été institutionnalisé dès le début du XXe siècle (la première plage naturiste y a été autorisée dès 1920), l'Allemagne se hisse quand même la deuxième place du podium à quelques points (21%) de l’Espagne.
Elle dépasse ainsi largement les Pays-Bas, où en dépit d'une loi très libérale dans ce domaine (Il faut savoir qu’une loi entrée en vigueur en 1986 autorise la nudité partout, sauf sur la voie publique ou lorsqu'elle constitue une gêne pour les autres) les femmes sont beaucoup moins nombreuses qu'en Allemagne à s'être déjà dévêtues intégralement (13%). Dans les autres pays européens investigués, l'expérience de la nudité intégrale est un peu plus faible qu’en France (8% au Royaume-Uni et en Italie) mais plus forte qu’en Amérique du Nord (7% aux USA et Canada) où, de par le puritanisme ambiant, la nudité reste culturellement associée au sexe.
Vers un retour de la pudeur ?
Pas forcément… Si cet observatoire met en évidence une diminution chez les femmes de la pratique de la nudité dans les lieux publics en été, les résultats ne montrent pas forcément la même tendance en ce qui concerne l'exposition de leur corps dans l'intimité.
Par exemple, la proportion de Françaises se présentant « assez régulièrement » nues devant leurs conjoints ou leurs petits amis est restée relativement stable entre 2009 (68%) et 2017 (72%), tout comme le nombre de femmes ayant déjà dormi nues au cours de leur vie (73% en 2009, 72% en 2017).
Le point de vue de François Kraus, Directeur du Pôle Politique / Actualité à L’Ifop :
A la lecture des résultats de cette enquête, c'est autant le regard des autres que le regard qu'elles portent sur elles-mêmes qui poussent les Françaises à moins se dévoiler aujourd'hui qu'hier.
Dans un contexte plus que jamais marqué par le culte de l'apparence et le déferlement d'images de corps parfaits, la crainte de ne pas répondre aux canons de beauté en vogue constitue sans doute un frein important pour toutes celles qui ont intériorisé l'idée qu'il fallait un corps « irréprochable » pour se permettre de le montrer en public.
Mais si le « terrorisme de l'esthétique et de la beauté » joue beaucoup dans la moindre exposition des corps des femmes en été, le reflux du culte du bronzage auquel une pratique comme le « topless » a toujours été associée n’y est aussi sans doute pas étranger. En effet, par rapport à des années 80 où le teint hâlé et le bronzage monoï étaient à l'honneur, le souci de se protéger du soleil ne favorise pas le dévoilement des corps.
Enfin, on ne peut nier que le dévoilement féminin n’a plus la même portée symbolique qu’il pouvait avoir dans les années 60/70, époque où sans forcément avoir une tonalité politique directe, il apparaissait pour certaines comme un moyen de rappeler aux hommes que leur corps et leur sexualité leur appartenaient. Or, comme l’explique bien la sociologue Janine Mossuz-Lavau, à une époque où « la plupart des jeunes femmes, à tort ou à raison, s'estiment libérées sexuellement », certaines ne ressentent plus forcément le « besoin d'afficher ce signe ostensible qui en était justement la marque » (Interview de Janine Mossuz-Lavau dans Le Parisien du 15 août 2004).
En perdant une partie de leur caractère subversif tout en s’attirant des discours de mise en garde d’ordre médical, les déshabillements publics sur les plages en été apparaissent donc de moins en moins comme un symbole d’émancipation féminine et de plus en plus comme une technique de bronzage « à risque ».
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