Le carnet d'Intima
23 September 2020
Réalisée auprès d'un échantillon de plus de 3.000 Français, cette enquête a permis
d’observer l'ampleur prise par la pratique du « NO Bra » (absence de soutiengorge)
qui a été, au même titre que d'autres « tendances beauté » comme le « No
Make-up » (absence de maquillage) ou le « No Poo » (absence de shampoing), boostée
par l'isolement imposé par le confinement. Elle révèle aussi et surtout que le boom du
« No-Bra » constaté durant le confinement n'aura pas été qu'une mode éphémère... Au
contraire, cette tendance semble plutôt s'inscrire dans la durée, portée par un
mouvement davantage dicté par des soucis de confort ou de santé que par des
motivations féministes. Mais en montrant à quel point les poitrines féminines restent
hyper-sexualisées, cette étude met aussi en lumière l'ampleur des freins à une visibilité
accrue des seins féminins : la charge érotique qui leur reste attachée restreint encore
fortement la liberté vestimentaire des femmes dans l'espace public en les surexposant
notamment à des risques de harcèlement ou d'agression sexuelle...
Boostée par le confinement,
la pratique quotidienne du
« No Bra » semble perdurer,
notamment chez les jeunes...
Aujourd'hui, une jeune fille sur six (18%) de
moins de 25 ans ne porte jamais de soutiengorge,
soit une proportion quatre fois supérieure
à celle mesurée avant le confinement (4%).
Malgré un retour à des conditions de vie plus «
normales », les adeptes du « No Bra » restent
donc quasiment aussi nombreuses que durant le
confinement (20% en avril), signe d'un certain
ancrage de cette nouvelle pratique chez les
jeunes françaises. Et si l'absence de soutiengorge
reste une pratique quotidienne plus limitée
chez l'ensemble des Françaises (7%), le nombre
d'adeptes du « No Bra » y est aussi largement
supérieur au niveau observé par l'Ifop avant le
confinement (3% en février).
L'absence de « soutif » dans
un lieu public : une expérience
désormais vécue par près
d'une Française sur deux
Mais au-delà leurs habitudes vestimentaires
quotidiennes, un nombre de femmes bien plus élevé
admettent être déjà sorties au moins une fois dans leur
vie dans un lieu public sans soutien-gorge : 44% parmi
l'ensemble des Françaises âgées de 18 ans et plus,
jusqu'à 59% chez les moins de 25 ans.
Ce chiffre global masque toutefois de fortes différences
d'expérience selon les contextes et lieux fréquentés.
En effet, si une femme sur trois (32%) est déjà sortie
sans soutien-gorge dans un lieu dédié aux bains de mer
ou de soleil - lieux où le dénuement des corps est
toujours jugé socialement plus acceptable -, elles sont
nettement moins nombreuses à avoir osé le « No Bra »
dans un jardin public (20%), les transports en commun
(17%) ou un établissement scolaire (11%).
Dans le détail des résultats, il n'en reste pas moins
important de signaler que l'expérience du « No Bra »
dans un lieu public dépend avant tout de la
morphologie des femmes. En effet, c'est dans les rangs
des femmes n'ayant pas forcément besoin de soutien -
comme les femmes aux « petites poitrines » (57% des
femmes ayant un bonnet A, contre 33% des femmes
ayant un bonnet E+) ou celles portant des prothèses
mammaires (78% des femmes ayant des prothèses,
contre 46% des femmes ayant des seins « naturels ») -
que l'on recense le plus de personnes ayant osé ne pas
porter de soutien-gorge en public.
La capacité à s'affranchir des injonctions sociales
pesant sur cette partie du corps féminin apparaît
également plus forte chez les femmes ayant un niveau
social et culturel supérieur à la moyenne, se
reconnaissant une part d'homosexualité ou une
sensibilité féministe mais aussi chez celles qui, résidant
dans les grandes agglomérations, souffrent
généralement moins du contrôle et du regard des
autres. Enfin, les adeptes du « No Bra » s'avèrent plus
nombreuses dans les rangs des femmes ayant été
confinées seules, signe que l'expérimentation de ce
genre de nouvelles pratiques est toujours facilitée par
l'absence du regard d'autrui sur la gestion de son
apparence corporelle.
Une tendance portée plus par
un désir de confort que par une
sensibilité féministe
Pour ces adeptes de plus en plus nombreuses du « No
Bra », les raisons de se débarrasser de leurs soutiensgorges
restent largement plus dictées par un désir de
confort que par une sensibilité aux discours
féministes...
En effet, si les motivations qui poussent les femmes à
faire ce choix sont aussi nombreuses que variées, leur
décision semble d'abord liée à la volonté de se
débarrasser de « l'inconfort procuré par le port du
soutien-gorge » (53%), très loin devant des motifs
d'ordre sanitaire - comme la prise de conscience de
l'impact négatif qu'un soutien-gorge peut avoir sur les
seins (24 %) - ou encore de nature esthétique comme la volonté d'afficher une poitrine sans artifice (16 %)
et/ou affranchie des normes relatives aux silhouettes
féminines (17 %). En revanche, les motivations
explicitement féministes s'avèrent marginales chez
l'ensemble des adeptes du « No Bra » (15 %, 6ème
raison sur 9), à l'exception notable des plus jeunes qui
sont beaucoup plus nombreuses à expliquer que leur
choix est déterminé par « le souhait de lutter contre la
sexualisation des seins féminins qui impose de les
cacher au regard d'autrui » (32 %, 3ème raison sur 9).
Le tabou du téton... Quand le poids du regard des autres et la peur de l'agression sexuelle empêchent les jeunes femmes de se débarrasser de leurs soutiens-gorges... Cette étude fournit aussi des renseignements précieux sur les raisons pour lesquelles les femmes n'enlèvent pas ce sous-vêtement, sachant que les freins des jeunes générations ne sont pas les mêmes que ceux de leurs aînées. En effet, si l'attachement de l'ensemble des Françaises à leur soutien-gorge tient d'abord au confort qu'il leur procure (65%) et son impact positif sur le maintien de leurs seins (54%), les réticences des jeunes à le lâcher reposent, elles, avant tout sur les injonctions à la pudeur et la « pression sexuelle » qu'elles subissent dans l'espace public. Effectivement, chez les jeunes femmes de moins 25 ans, on observe à peu près les mêmes raisons de ne pas enlever leur soutien-gorge sous leur haut en public que celles avancées pour ne pas pratiquer le topless sur les plages, à savoir « la gêne à l'idée que les gens voient leurs tétons » (69%) et « la crainte d'être l'objet d'agression physique ou sexuelle » (à 57%). De même, la crainte d'attiser le regard concupiscent des hommes - frein numéro un des jeunes filles au topless - est avancée par la moitié des jeunes (50 %) pour expliquer leur refus du « No Bra » alors qu'en moyenne, elle n'est mise en avant que par une femme sur trois (36 %). En cela, les jeunes de moins de 25 ans, qui sont aussi les plus exposées au harcèlement de rue, semblent avoir intériorisé les risques de « rappel à l'ordre » dans le cas où elles transgresseraient les injonctions à couvrir leur poitrine - et notamment leurs tétons - dans l'espace public.
Ne pas porter de soutien-gorge
reste encore pour certains un
facteur légitime d'agression
sexuelle
Il est vrai que l'analyse des représentations
associées par les Français (hommes et
femmes) à la pratique du « No bra » révèle à
quel point la non dissimulation de la poitrine
féminine reste un facteur d'agression sexuelle
pour la moitié des Français : 48 % d'entre eux
estiment que « une femme qui ne porte pas de
soutien-gorge prend le risque d'être harcelée,
voir agressée ».
Mais un autre indice révèle l'ancrage de la
« culture du viol » et des injonctions à la
« pudeur » pesant sur les poitrines féminines :
l'idée selon laquelle « le fait qu'une femme
laisse apparaître ses tétons sous un haut
devrait être, pour son agresseur, une
circonstance atténuante en cas d'agression
sexuelle ».
Malgré la radicalité de cette affirmation (déjà
testée dans de précédentes enquêtes), le fait
qu'elle soit partagée par un Français sur cinq
(20 %) s'avère indéniablement inquiétant,
sachant que c'est dans les catégories de la
population les plus populaires (28 % des
ouvriers la partagent, contre 11 % des
cadres), les moins diplômées (34 % des noms
titulaire d'un bac) et les plus imprégnées par
la morale religieuse (42% des musulmans)
qu'elle est la plus répandue.
Des Français encore très
partagés sur une évolution
de la législation relative à
l'exposition publique des
seins
La forme de blâme moral qui frappe les bustes
féminins alors que les torses masculins sont jugés
socialement acceptables illustre également l'idée
selon laquelle le non-port d'un soutien-gorge
serait une forme d'indécence. L'idée selon
laquelle les réseaux sociaux comme Facebook
« ne devraient pas pouvoir censurer les photos
laissant apparaître des tétons de femme alors
qu'ils ne censurent pas les tétons d'homme » est
loin de susciter l'unanimité : seuls 50 % des
Français y adhèrent, signe qu'ils ont encore du
mal à considérer qu'il faut mettre sur le même
plan l'exposition numérique des seins féminins et
des seins masculins.
La poitrine des femmes, un
objet de désir qui les
surexpose à des risques
d'agression sexuelle
Mais les freins à cette libération corporelle
qu'incarne le « No Bra » ne peuvent pas se
résumer qu'aux pesanteurs culturelles liées à
ces représentations très sexualisées des seins
féminins. Cette étude permet également de
montrer à quel point les poitrines peuvent
être à l'origine de violences visuelles, verbales
ou physiques qui constituent toutes autant un
frein à leur visibilité dans la vie de tous les
jours.
Ainsi, les jeunes filles moins de 25 ans, qui
correspondent souvent plus que les autres aux
critères de beauté dominantes, rapportent
dans de fortes proportions avoir déjà été
victimes de diverses formes de harcèlement
en raison de leur poitrine : 55 % d'entre elles
déclarent que leurs seins ont déjà fait l'objet
de regards concupiscents et environ 40 % de
remarques gênantes ou d'insultes sexistes.
Un quart des jeunes filles de moins 25 ans
(25%) rapportent même que leur poitrine a
déjà fait l'objet d'attouchement sans leur
consentement.
De même, il est important de signaler à quel
point cet objet de désir peut réduire leur
liberté vestimentaire si l'on en juge par la
proportion de femmes qui rapportent avoir
déjà dissimulé leur décolleté sous un foulard
ou un gilet pour éviter le regard des hommes :
32 % parmi l'ensemble des femmes, jusqu'à 50
% chez les jeunes de moins de 25 ans.
Le point de vue de
François Kraus, directeur
du pôle « Genre, sexualités
et santé sexuelle » de l'Ifop
Si le « No Bra » n'est pas la seule pratique
corporelle à avoir été boostée par le
confinement - d'autres « tendance beauté »
comme le choix de ne pas se maquiller, de ne
pas s'épiler ou de ne pas se laver les cheveux
ont aussi profité cette période propice à
l'affranchissement des diktats esthétiques
pesant habituellement sur la gent féminine -,
elle a le mérite de mettre en lumière les
limites de la liberté vestimentaire des femmes
dans une société où l'hyper-sexualisation des
poitrines féminines les surexpose encore à des
formes de harcèlement ou de « rappels à l'ordre ». Bien qu'il soit aujourd'hui soutenu
par un mouvement plus large de libération à
l'égard des normes de beauté féminine -
trouvant notamment un écho sur les réseaux
sociaux avec des hastags comme
#FreeTheNipple ou #NoBraChallenge - ,
l'abandon de ce que les féministes des années
1960 avait érigé en symbole de l'oppression
vestimentaire des femmes ne semble pas à la
portée de toutes... D'abord pour des raisons
physiques et esthétiques : l'étude confirme
que toutes les formes de seins ne peuvent
s'affranchir aussi facilement de ce tissu et que
nombre de femmes apprécient cette lingerie
dans laquelle elles se sentent à la fois plus
belles et plus féminines. Ensuite en raison des
difficultés culturelles à « dés-érotiser » une
partie du corps féminin qui, restant un
puissant objet de désir, attise plus que
d'autres les formes de « pression sexuelle »
subies par les femmes dans l'espace public.
Si l'abandon du port du soutien-gorge est
donc bien un symbole d'un « féminisme du
quotidien » illustrant la capacité des femmes à
s'affranchir des injonctions pesant sur elles, il
est donc bon de rappeler que cette forme de
réappropriation de son corps est encore loin
d'être donnée à tout le monde...
* Étude Ifop pour Xcams réalisée par
questionnaire auto-administré en ligne du
9 au 12 juin 2020 auprès d'un échantillon
de 3 018 personnes, représentatif de la
population âgée de 18 ans et plus résidant
en France métropolitaine.
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