Olivier Theyskens - She walks in beauty

L'exposition consacrée à Olivier Theyskens est une véritable exploration de ses vingt d’évolution créative dans la mode, qui, au travers d'une multitude de silhouettes imprégnées de l’esprit de la couture, présente son savoir-faire artisanal et les atmosphères changeantes de son œuvre. De l’aura romantique et ténébreuse de ses débuts, qui lui valut une renommée internationale immédiate, jusqu’à sa nouvelle vision de la Couture mise en œuvre chez Rochas, sa maîtrise de la coupe et des tissus chez Nina Ricci, son aventure américaine de Theyskens’ Theory, puis enfin la relance de sa ligne éponyme, toutes ces silhouettes exhibent la main du maître.
Son don extraordinaire de dessinateur comme sa manière singulière de travailler en autodidacte, éclairent avec pertinence les différentes facettes de la mode contemporaine : de la couture, en passant par la semi-couture, jusqu’au prêt-à-porter. Le voyage sera ponctué de voix littéraires, en contrepoids de son monde visuel, constitué aussi de photographies, films et dessins, le tout offrant un double point de vue sur le processus de création de ce créateur extraordinaire.
La muse imaginée par Theyskens change au fil du temps : romantique, mystèrieuse, forte et élégante, jeune ou plus âgée. Mais où qu’elle aille, elle marche tout en beauté.

Photo centrale: Olivier Theyskens, September 2016, Photo: Thomas Deschamps
Photos de droite et de gauche: Olivier Theyskens A/W 1999-2000, Photo: Les Cyclopes

Olivier Theyskens 1997-2002

Olivier Theyskens débute en 1997 en tant que styliste indépendant à l’occasion du Barclay Catwalk à Knokke, Belgique, suivi de son défilé d’automne- hiver 1998-99 à Paris. Il faisait partie de la deuxième vague de stylistes belges à être accueillis sur la scène internationale, qui feront sensation dans les défilés avec leur es- thétique underground sombre. Proclamé « prince gothique » de la mode, son romantisme ténébreux, reflétant différentes périodes historiques, l’usage spécifique de textiles recyclés et retraités, et ses silhouettes théâtrales ont fait de lui un favori des feux de la rampe. Son esprit Couture et sensuel rompt avec le réalisme et l’androg- ynie , typiques de la mode « Belge » . L’héritage affleure cependant à travers sa touche légèrement surréaliste, les effets en trompe l’œil de ses vêtements et la présence de ciels noirs, de nuages et de moules dans ses décors.
À travers ses premières collections, nous percevons l’ADN de Theyskens dans son amour des silhouettes théâ- trales souvent réalisées en noir. Pièces de dentelle, fermetures à agrafes, corseterie et autres détails considérés désuets deviennent les éléments constitutifs de ses vêtements souvent radicaux, relevés de cuir noir et de satin, de tulle délicatement usé, de perlages et de plumes. Les fermetures à agrafes reviennent dans différentes dimensions pour marquer le corps ou stigmatiser le tissu : traitées et exhibées comme un « bijou », elles évoluent de l’ « objet trouvé » à un élément de signature. Les corsets sont un ancrage nécessaire, une fondation structurelle pour atteindre la plénitude fascinante des jupes à crinoline : « Enfant, je pensais qu’une ample crinoline était la quintessence de la beauté » se souvient-il. Ses créations ont gagné les faveurs de Madonna et des Smashing Pumpkins, qui ont porté ces tenues spectaculaires dans un abandon hédoniste.
Le noir exprime les aspects les plus sculpturaux d’une silhouette, et l’usage de différentes matières et textures rend cette silhouette couverte de noir très tactile et sensuelle. Le noir sied à Theyskens dans ses caractéris- tiques contradictoires d’affliction et de séduction, de romance et de rébellion. Son esthétique est celle de « L’érotique voilée » que l’on retrouve dans les poèmes de Lord Byron et de Charles Baudelaire.
Depuis ses premières collections taillées dans des draps de lit anciens et des tissus d’ameublement provenant des greniers de Normandie, Theyskens accomplit des progrès techniques dans sa maîtrise de la coupe en biais, ses recherches en corseterie et crinolines, ainsi que dans le travail et le développement de matières telles que la soie enduite et le cuir. Entre ses mains, la sensualité et la grâce naturelle se traduisent au travers d’une grande attention pour les matières et la manière artisanale.

Rochas 2003-2006

La maison de Haute Couture fondée par Marcel Rochas en 1925, historiquement axée sur la mode et le parfum, est célèbre en particulier pour la guêpière, sorte de corset crée en 1946, et le parfum Femme de 1944 présenté dans une boîte cylindrique couverte de dentelle de Chantilly noire.
Moins rigide que le corset et épousant les mouvements du corps, la guêpière combine un bustier, un corset, une gaine et un porte-jarretelles. Elle apparaît comme le précurseur du succès du New Look de Dior en 1947, lorsque la taille de guêpe deviendra le symbole du raffinement et du luxe d’après guerre.
« Belle endormie » depuis la mort de son fondateur en 1955, la maison Rochas se consacre principalement aux parfums et cosmétiques jusqu’au lancement du prêt-à-porter à la fin du 20e siècle.
Lorsqu’Olivier Theyskens intègre la maison en 2002, il s’attache à créér une nouvelle vision de la garde-robe de Rochas pour le 21e siècle. Effaçant ses tendances les plus sombres et faisant preuve d’une rigueur percepti- ble, Theyskens est parvenu à donner l’idée d’un style Rochas, à saisir les codes de la boîte cylindrique et de la dentelle noire couvrant le parfum classique, à littéralement les sculpter. Il réduit les épaules, façonne les bras aux proportions de la Haute Couture, anime les ourlets des petits tailleurs d’un souffle et ajoute des tournures trapèze dans le dos des vestes.
Dans ses silhouettes, Olivier Theyskens s’est inspiré de l’af nité de Marcel Rochas pour la dentelle de Chantilly évocatrice d’une féminité sensuelle et sophistiquée. Ce faisant, il s’est fait l’écho de la tradition ancestrale d’uti- liser la dentelle à la fois pour les vêtements et la lingerie, les associant avec des tissus soyeux dans des couleurs assorties ou contrastées. Les motifs de dentelle de Chantilly seront également transposés en impressions sur soie.
Dans ses collections pour Rochas, Theyskens a révélé le caractère raffiné de la dentelle et sa connexion avec la Haute Couture française, ainsi que son association avec une féminité adulte bien assumée.
Son « esprit couture » a été acclamé par la presse, quali ant cette collection de prêt-à-porter de « demi-couture ».
Après quelques collections dans lesquelles il a exploré les nombreuses options de la dentelle, Theyskens s’est éman- cipé de l’ADN de Rochas et a utilisé ses nouvelles techniques de couture pour réaliser des silhouettes plus légères, avec des broderies délicates et des traits de couleurs qui captent le rythme d’un corps contemporain en mouvement.

Ali Mahdavi

La rencontre et la collaboration qui en a résulté entre Olivier Theyskens et le photographe Ali Mahdavi fut une coïncidence heureuse et à la fois quelque chose qui semblait inévitable: deux artistes à la recherche de la perfection, tous deux avec un œil pour la beauté intemporelle et l’amour du surréalisme devaient tout sim- plement se retrouver. Ils se sont rencontrés et ont commencé à travailler ensemble dans les premières années de l’ascension de Theyskens dans le monde de la mode. Tous deux adoraient les effets de lumière cinémato- graphiques, les tirages argentiques et le glamour révolu de Hollywood, dans un mélange de surréalisme et de burlesque.
Ses photos pour Rochas, dont le jeu d’ombre et de lumière les rend immédiatement à la fois sensibles et osées, renforcent la beauté intemporelle et parfois surprenante de ses sujets. En isolant ses figures de l’environne- ment chargé des coulisses, il augmente l’intimité partagée entre le spectateur et les modèles qu’il photographie.

Julien Claessens
 
Dès leur première rencontre à La Cambre en 1995, Julien Claessens savait capturer le monde de Theyskens dans des images d’atmosphère analogiques. Dans les coulisses de Nina Ricci, Claessens troqua son Hasselblad analogique contre une caméra numérique afin de saisir encore plus rapidement les instants propices. Avec un regard de photographe portraitiste, il cristallise les coulisses en clichés cinématographiques. Les mannequins y sont des figures solitaires, perdues dans leurs pensées et d’une tranquillité énigmatique au beau milieu de l’environnement tumultueux dans lequel elles évoluent. Les images suscitent la nostalgie de l’instant où elles ont été immortalisées et le temps y est indéfinissable.

Nina Ricci 2007-2009

Après sa période chez Rochas, Olivier Theyskens a poursuivi ses recherches sur le mouvement et les tissus chez Nina Ricci, la maison de Haute Couture fondée en 1932, renommée pour son célèbre parfum L’Air du Temps lancé en 1948.
Theyskens va développer ici de nouveaux traitements ou tissus, trouver de nouvelles solutions afin d’adapter la coupe aux mouvements du corps. Des textiles fins, raffinés, légèrement transparents comme la mousseline et le tulle flottent différemment quand ils captent l’air, en fonction de leur densité. D’autres tissus plus fluides tombent plus ou moins rapidement, d’une façon proche du liquide, créant des vagues d’amplitude variée. Des tissus plus secs, comme le taffetas, interagissent avec la lumière, créant un effet de crépitement chatoyant.
Sa première collection pour Nina Ricci, en Automne-Hiver 2007, a été directement inspirée par la forme en spirale du flacon de L’Air du Temps, le parfum emblématique de la marque. Ceci a donné à Theyskens l’occa- sion d’explorer la plasticité de l’étoffe, sur les pas de Madeleine Vionnet, maître absolu de la coupe en biais.
Inspiré par le monde de la danse, Theyskens a imaginé pour le Printemps-Eté 2009 des robes courtes devant et longues à l’arrière, chacune suivant son propre mouvement. Des traînes flottant sur des sortes de faux culs, aux jupes qui s’envolent à chaque pas pour révéler les jambes, le styliste démontre sa maîtrise dans le choix de la taille et de l’emplacement de chaque volant, ainsi que sa compréhension de la texture spécifique de la mousseline, du satin ou du tulle qui contribueront à créer l’effet de la silhouette animée qu’il avait envisagée.
Le type « bladerunner » des filles de la collection Automne-Hiver 2009 sont en accord avec le Zeitgeist du nouveau millénaire : planant au-dessus du sol dans des bottes vertigineuses, elles offraient des silhouettes futuristes puissantes qui marquaient une nouvelle direction pour Theyskens.

Photo de gauche: Nina Ricci by Olivier Theyskens F/W 2007-2008, Photo: Sybille Walter, Encens Magazine, 2007 - Model: Hannelore Knuts - Styling: Haider Ackermann Hair & Make-up: Carole Colombani
Photo de droite: Olivier Theyskens S/S 1998, Photo: Jurgen Rogiers


Theory 2010-2014

Dans une période de grands bouleversements dans la mode, alors que les marques étaient à la recherche de di- recteurs créatifs plutôt que de stylistes à l’ancienne, Olivier Theyskens accepte de cumuler les deux rôles pour la marque de grande distribution américaine Theory. Démocratisant ses créations en y apportant une approche élégante et minimaliste, il propose une garde-robe taillée pour la working girl urbaine : la collection Theys- kens’ Theory était lancée, Theyskens assurant par la suite la direction créative de l’ensemble de la marque. Confronté ici à de nouvelles méthodes de production, typiques d’une marque dans le segment contemporain,
il a augmenté le rythme des collections, améliorant sans cesse la coupe et la forme en studio. Les différentes collections montrent la perfection des modèles tailleurs et des blazers parfaitement coupés, infusés de l’esprit sportswear. Les lignes sont aisées et souples, une incarnation du mouvement, de la légèreté et de l’élégance.

Robe De Mariée Nellie Diamond

Après avoir quitté Theory en juin 2014, Theyskens fait une pause avant de lancer sa propre collection en 2016. Pendant cet interlude, il a cousu lui-même la robe de mariée de son amie, Nellie Diamond, femme entre- preneur new-yorkaise. La robe, dotée d’une traîne en satin de soie se déployant sur cinq mètres, a nécessité trois mois de travail avant d’être étrennée dans le sud de la France. Elle représente la quintessence de ses aptitudes de couturier, de sa patience et de son œil pour le détail, ainsi que de son esprit romantique.

Olivier Theyskens NOW

En 2016, Olivier Theyskens effectue son retour sur la scène de Paris avec sa marque éponyme. Après ses différentes étapes tant dans les maisons de mode européennes qu’américaines, une vision contemporaine de son propre ADN refait surface: de petites robes noires en cuir, des manteaux en tartan, des corsages bustiers, des coupes en biais, et les omniprésentes fermetures à agrafes sur les chaussures, les chemises et les vestes.
Son amour pour la coupe et l’artisanat délicat est présent dans chacune de ses créations: les broderies sont parfois réalisées à la main par Theyskens en personne et il est toujours très intrigué par les possibilités des matières. Sa fascination depuis l’enfance pour la mode du 19e siècle et ses formes complexes, tant sur le plan technique qu’ornemental, est reflétée ici par deux modèles de robes dans ses collections récentes. Nous y reconnaissons le savoir-faire de quelqu’un qui n’a jamais cessé de perfectionner ses premières aptitudes. C’est une démonstration de l’ « esprit Couture » dans une marque de prêt-à-porter.