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Le carnet d'Intima

Immersion créative

Haute Dentelle

05 juillet 2018

Proposée par la Cité de la Dentelle et de la Mode de Calais du 9 juin 2018 au 06 janvier 2019, l’exposition « Haute Dentelle » illustre la place de la dentelle dans la mode ultra contemporaine.

Proposée par la Cité de la Dentelle et de la Mode de Calais du 9 juin 2018 au 06 janvier 2019, l’exposition « Haute Dentelle » illustre la place de la dentelle tissée sur métier Leavers dans la mode ultra contemporaine. Les couturiers élisent, au service de leur style, cette étoffe exigeante et Haute Dentelle s’attache à souligner comment ils expriment cette matière d’exception familière et pourtant méconnue. La dentelle, tissu d’excellence, dialogue avec la haute couture. Aussi l’exposition Haute Dentelle était attendue. Telle une photographie instantanée, elle porte son regard sur les usages contemporains de la dentelle dans l’excellence en mode, à savoir la haute couture et le prêt-à-porter de luxe. Quatorze maisons de la scène française et internationale ont été sélectionnées pour leur pertinence et leur diversité. La présentation montre comment les couturiers font de la dentelle tissée matière à réflexion : qu’ils superposent et agglomèrent, qu’ils découpent et accolent… Haute Dentelle met en lumière les métamorphoses incarnées de ces dentelles devenues sculptures mouvantes. Ce sont aussi les savoir-faire actuels des manufactures françaises de dentelles qui se révèlent. Plus que jamais, les dentelliers font de leur patrimoine un laboratoire de recherche et une source de création. La créativité se place à plusieurs niveaux, de la conception à la finition en passant par le tissage : motif, composition, teinture et autres ennoblissements. Tout peut faire objet de recréation. Tradition et innovation, termes souvent usités, prennent ici tout leur sens.

La dentelle, des mains aux machines
De tous les textiles, la dentelle est la seule d’origine européenne. En effet, la dentelle à la main est apparue en Europe au XVIe siècle dans les Flandres et dans le nord de l’Italie et a depuis lors, et pour les pièces les plus élaborées, conservé le statut de luxueux tissu ornemental, ayant pour fonction principale d’embellir fastueusement les tenues des plus fortunés. La dentelle est un textile dont le support comme le motif sont ajourés. Deux techniques ont été mises au point : la « dentelle à l’aiguille » à l’aide d’un parchemin, d’un fil et d’une aiguille d’une part, et la « dentelle aux fuseaux » à l’aide d’un jeu de bobines et d’un carreau comme support d’autre part. La dentelle est alors autant appréciée que coûteuse. Longue et complexe à produire, elle a souvent nécessité une organisation de travail collective, le travail de plusieurs dentellières étant assemblé pour former une pièce entière. La dentelle fabriquée à Calais depuis près de 200 ans est exclusivement mécanique, mais elle s’est d’abord inspirée de la dentelle à la main avant de s’en affranchir. Au XIXe siècle, la mécanisation de la production de la dentelle prend son essor en Angleterre, dans la ville de Nottingham, puis en France à Calais, à Caudry et à Lyon. La mécanisation permet de faciliter la production de la dentelle et d’en répandre l’usage, sans pour autant lui retirer une préciosité certaine. En effet, si la technique de production la rend moins coûteuse, une main-d’œuvre en nombre et des savoir-faire sophistiqués restent incontournables pour la fabriquer. Ces savoir-faire gravitent tous autour du métier à tisser la dentelle, le métier dit « Leavers ».

Les dentelles
Au début des années 1950, on compte une cinquantaine de maisons de haute couture et plus de 150 manufactures de dentelle, souvent de très petite taille, sur la seule place de Calais, sans oublier les villes de Caudry et de Lyon, également des places fortes de la production dentellière, notamment pour la robe. Mais avec ses 1390 métiers recensés en 1952 à Calais contre 400 à Caudry ou 360 à Lyon et Saint Quentin, c’est bien cette première qui peut s’enorgueillir d’être la capitale mondiale de la dentelle mécanique. En 1955 apparaît un nouveau produit confectionné sur des métiers à tricoter développés par l’industriel allemand Karl Mayer, la dentelle Raschel. Ce textile, de moindre qualité technique et esthétique et au prix très bas en comparaison avec la dentelle tissée, s’appelle également « dentelle ». Aussi, pour différencier les deux types de production, les professionnels français créent la même année une marque « Dentelle de Calais ».
La présence de la dentelle dans la mode a toujours été fluctuante, assujettie aux évolutions des canons esthétiques qui, selon les moments, mettent plus ou moins en honneur ce tissu. Aujourd’hui, il existe un engouement réel pour la dentelle, présente sur les podiums comme dans la rue. Les deux technologies de dentelle tissée et de dentelle tricotée y répondent, mais de façon différente. La première revendique une tradition biséculaire mettant en avant la qualité, la créativité et l’innovation au service du marché de luxe, alors que la seconde perfectionne incessamment l’outil technique et oriente la production vers des pays à bas salaires afin de produire une dentelle bon marché.

Dentelle polymorphe
Aujourd’hui, il semble que les caractéristiques intrinsèques de la dentelle, l’effet de transparence plus ou moins grande, et le motif ne suffisent plus à combler la créativité des couturiers et créateurs. Elle subit maintes transformations sous leurs mains, sortant de façon méconnaissable. La dentelle peut être confondue avec de la broderie et d’autres techniques se rapprochent des aspects esthétiques, si ce n’est tactiles, de la dentelle. Aussi, c’est plutôt « l’effet dentelle » qui plaît et inspire, sans attention particulière aux techniques de production (tissage, tricotage, laser, broderie, impression, 3D). La dentelle sert de source d’inspiration bien au-delà de la mode car cette dernière encourage la création multidisciplinaire en architecture, design d’intérieur, création de mobilier, arts de la table, papeterie, joaillerie ainsi que les artistes plasticiens, bien que cet engouement général ne profite que peu aux fabricants de dentelle haut de gamme. En effet, cette dentelle tissée ne représente qu’une infime partie de la consommation de la dentelle dont la vaste majorité est tricotée. La plupart des consommateurs, voire commerçants et professionnels de la filière textile aujourd’hui, ne font pas de différence entre les deux dentelles. Peu d’écoles de mode et de design l’enseignent car c’est une matière d’une grande complexité technique, exigeante à travailler et onéreuse. Aussi, les futurs designers et créateurs de mode n’ayant pas pu expérimenter les possibilités d’invention que permet la dentelle haut de gamme durant leur formation ne vont pas spontanément ensuite vers cette dernière. Le constat est encore plus affligeant en dehors de l’Europe qui a vu naître ce textile. L’enjeu majeur consiste donc à faire découvrir la dentelle tissée aux étudiants, futurs acteurs du milieu de la mode et du design.

Révéler l’invisible
Haute Dentelle occupe les 565 m2 de la galerie d’exposition temporaire. Le parcours se compose de 14 vitrines présentant 65 pièces vestimentaires appartenant aux collections patrimoniales de 14 maisons de mode de la scène française et internationale parmi les plus prestigieuses, de Chanel à Valentino en passant par Ralph&Russo et Viktor&Rolf. La mise en espace dresse ainsi un tableau représentatif des usages diversifiés de la dentelle mécanique dans la création contemporaine. Les silhouettes sont toutes issues des tout derniers défilés de ces 5 dernières années. Elles sont – à deux exceptions près - données à voir pour la première fois au grand public. Chaque vitrine, entièrement consacrée à une seule maison de couture, met en lumière l’originalité stylistique de la maison. Cette sélection de créations souligne les relations des maisons de mode à la dentelle, dans le temps et dans le style : histoire de longue date ou rencontre éphémère, matière de prédilection ou étoffe transcendant une collection. Ainsi chaque vitrine constitue un tableau d’un geste identitaire fort. Ce corpus inédit est enrichi de vidéos de défilés, de photographies, d’échantillons de dentelle des robes exposées et de dentelle travaillée selon divers procédés par un des ateliers parmi les plus prestigieux œuvrant pour la haute couture, la Maison Lemarié. Glossaire et chronologie donnent également des repères au public. Les légendes des pièces vestimentaires mettent l’accent sur la double créativité, celles des maisons de mode mais aussi, et chose rare, celles des maisons de dentelle. Le fournisseur est identifié et la dentelle, matière première, est documentée. Ce travail d’identification dévoile les coulisses de la création, des échanges entre fournisseur textile et directeur artistique : de la dentelle dessinée en exclusivité pour la maison à celle qui subit maintes manipulations jusqu’à se rendre méconnaissable en passant par celle magnifiée pour elle-même. Le visiteur a le privilège d’entrevoir ces secrets de fabrication usuellement soumis à la confidentialité. Il s’agira aussi de définir les notions de nouveauté, de création, d’exclusivité, de recherche et développement, de collection. Ce sera, par exemple, l’occasion de montrer comment une dentelle créée dans les années 1930, remise en collection en 2015, est choisie par un couturier pour défiler sur les podiums en 2017.

Toucher des yeux
Profondes boîtes-écrans, les vitrines sans verre, en plus de faciliter la prise de photographies admises sans flash, permettent d’admirer sans être gêné par les reflets de lumière. Le dispositif offre au public la liberté de contempler le vêtement de près, dans l’ensemble de sa complexité, et non plus seulement dans sa forme. L’occasion lui est enfin donnée de découvrir, dans le détail, des robes haute couture qui demandent pour certaines jusqu’à 1 000 heures de confection. Cette opportunité est unique. Car que voit-on réellement lors d’un défilé où plusieurs dizaines de pièces sont dévoilées à toute allure, même lorsqu’on a la chance d’être au premier rang ? L’omniprésence digitale de l’image de mode ne remplace pas la confrontation au vêtement dans sa tridimensionnalité. Le temps suspendu de l’exposition offre cette expérience sensorielle.

Photos : Fred Collier

Une histoire de la dentelle en 10 datesVers 1535 La dentelle, une invention textile européenne, apparaît en Italie et en Flandres : la dentelle à l’aiguille et la dentelle aux fuseaux. Ce textile très coûteux a été longtemps fabriqué par la seule action des mains des dentellières.
1809 Invention du métier à tulle dit métier « Bobin » par l’anglais John Heathcoat à Nottingham (Grande-Bretagne). Pour donner l’illusion d’une dentelle à la main, le tulle mécanique est alors brodé.
1813 Invention du métier à tisser la dentelle par l’anglais John Leavers. Plus lent mais plus précis, le métier Leavers s’impose.
1816 Arrivée à Calais des premiers métiers à tisser, passés en contrebande via la Manche, livrés en pièces détachées. Caudry suivra la marche dès 1823.
1834–1841 Perfectionnement du métier grâce au système Jacquard qui permet de produire mécaniquement des motifs dans le tulle. Cette révolution technologique donne naissance à l’industrie de la dentelle mécanique qui imite de mieux en mieux la dentelle à la main.
1855 Exposition universelle à Paris : la Fabrique de Calais présente un métier en démonstration. Cette première exposition universelle française accueille plus de 5 millions de visiteurs.
1910 Plusieurs fabricants calaisiens et caudrésiens sont primés à l’Exposition universelle de Bruxelles. La dentelle mécanique se substitue à la dentelle à la main par l’intermédiaire des grands
magasins parisiens qui jouent la confusion entre les deux produits. L’industrie de la dentelle à la main disparaît pratiquement avec l’avènement de la Première Guerre mondiale pour devenir un artisanat d’art.
1955 Invention du métier Raschel par l’allemand Karl Mayer qui produit une dentelle tricotée, et non tissée au contraire du métier Leavers. Deux filières de production de dentelle mécanique,  « tissage » et « tricotage », vont devoir se côtoyer. Suivront d’autres métiers plus perfectionnés pour tricoter la dentelle : le Jacquardtronic (1982) et le Textronic (1991). Initialement plate et grossière, la dentelle maille tente de se rapprocher de la dentelle tissée pour Leavers en acquérant définition et relief.
1958 Création de la marque Dentelle de Calais® par la Fédération Française des Dentelles et des Broderies (syndicat créé en 1935), afin de distinguer cette authentique dentelle tissée fabriquée en France, et éviter toute confusion avec la dentelle tricotée sur un procédé de maille nouvellement inventé. En 2015, la marque collective devient Dentelle de Calais-Caudry®.
2018 En France, la préservation des savoir-faire de la dentelle mécanique dépend de la quinzaine de manufactures de dentelle (contre la quarantaine existante encore en 2001 et les 230 des années 1950) et des 650 métiers Leavers présents dans les Hauts-de-France, sur les 1000 dénombrés au monde. 12 métiers Leavers sont conservés dans les collections publiques, répartis entre les musées de Calais et de Caudry. Les démonstrations de ces machines de fonte révèlent combien cette dentelle relève de l’art industriel et combien la main de l’homme est importante.


1. Robe à étages volantés de dentelles leavers Chantilly. Collection Haute Couture P/E 2017 "Caducité" Christian Dior Couture (Dentelle Solstiss) © Robin2. Robe en mousseline de soie et dentelle leavers Chantilly. Collection Couture P/E 2016 Alberta Ferreti (Dentelle Solstiss et autres dentelles non identifiée) © Robin3. Jupe en dentelle Leavers incisée à la main. Collection Haute Couture P/E 2015 Chanel (Dentelle Solstiss) © Chanel, Karl Lagerfeld4. Veste et jupe en tulle et dentelles recyclées. Collection Haute Couture A/H 2016-2017 © Viktor&Rolf5. Robe en dentelle Leavers rebrodée de perles et plumes. Collection Couture A/H 2017-2018 Zuhair Murad (Dentelle Sakae Lace) © Zuhair Murad6. Robe en dentelle Leavers à motif organique (macrophotographie de larmes). Collection Haute Couture A/H 2017-2018 "Les vases communiquant“ Schiaparelli (Dentelle Darquer) © Schiaparelli7. Robe en Jersey et dentelles Leavers. Collection Haute Couture A/H 2013-2014 "Aphrodite" Yiqing Yin (Dentelle Sophie Halette) © Shuji Fujii8. Robe en dentelle Leavers siliconée et tulle. Collection Haute Couture A/H 2013-2014 "Germinal" Yqing Yin (Dentelle Sophie Halette) © Shuji Fujii9. Ensemble veste smoking et pantalon en dentelles Leavers. Collection Couture A/H 2012-2013 Maison Margiela (Dentelle Sophie Halette) © Robin10. Robe en dentelle Leavers. Collection Couture A/H 2016-2017 Alberta Ferreti (Dentelle Méry) © Robin11. Robe en dentelle Leavers rebrodée à la machine Cornely. Collection prêt-à-porter P/E 2016 Balenciaga (Dentelle Solstiss) © Robin12. Robe en dentelle Leavers rebrodée à la main. Collection Haute Couture P/E 2016 Chanel (Dentelle Solstiss) © Robin13.Robe en dentelles Leavers appliquées. Collection Couture P/E 2016  Alberta Ferreti (Dentelles Solstiss et autres dentelles non identifiées) © Robin14.Robe en dentelle Leavers entremêlée de dentelle cuir découpée au laser. Collection prêt-à-porter P/E 2016. Iris Van Herpen (Dentelle Darquer) © Robin15. Robe en dentelle leavers Chantilly rebrodée mécaniquement de fils lurex. Collection croisière 2018 Louis Vuitton (Dentelle Solstiss) © Robin
16.Robe en tulle et dentelles leavers et cape de plumes d'autruche. Collection Haute Couture P/E 2014 (Dentelles Marco Lagatolla et Sophie Halette) © Valentino17. Robe (détail) en dentelles Leavers appliquées. Collection Couture A/H 2014-2015 Alberta Ferreti (Dentelle Solstiss et autres dentelles non identifiées) © Robin18.Robe (détail) en dentelle Leavers rebrodée à la main. Collection Haute Couture P/E 2016 Chanel (Dentelle Solstiss) © Robin19. Jupe (détail) en dentelle Leavers incisèe à la main. Collection Haute Couture P/E 2015 Chanel (Dentelle Solstiss) © Chanel, Karl Lagerfeld

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