Le carnet d'Intima
04 juillet 2017
...différentes et complémentaires à la fois, la première exposition est consacrée aux tissus imprimés du 18ème siècle à nos jours, tandis que l’autre met à l’honneur les plus belles créations des grands couturiers du 20ème siècle. Le point commun ? De la couleur ! Ainsi, l’exposition « Formes et couleurs » invite le visiteur à plonger dans cet univers fascinant, graphique et bigarré, spontané et conceptuel, où les œuvres de grands maîtres du XXème dialoguent avec les créations de dessinateurs textiles de génie. Dans une scénographie, fatalement colorée et architecturée, le processus créateur de ces générations successives de dessinateurs est légitimement mis en évidence. Quant à l’exposition « Constellation », elle fait la part belle à la couture haute en couleurs : de Loris Azzaro à Jean-Charles de Castelbajac, de Pierre Balmain à Franck Sorbier, c’est une kyrielle d’astres colorés, chamarrés, audacieux qui prennent place dans cette constellation étincelante. Bonne vision.
« Toute l'action de la peinture réside dans le rapport des couleurs entre elles, dans le rapport des formes entre elles, et dans le rapport entre les formes et les couleurs. » S’il en va ainsi pour la peinture selon Auguste Herbin, il en est de même pour le motif, expressif ou décoratif, qui vient orner les toiles imprimées. L’utilisation de formes géométriques et de couleurs vise dans un premier temps à créer un vocabulaire compréhensible par tous et utilisable dans tous les domaines. La grammaire utilisée permet des combinaisons infinies mais c’est justement dans la simplicité de celle-ci que résident ses limites. L’utilisation de la forme et de la couleur semble à la portée de tous mais les résultats sont comme dans l’écriture, de niveau plus ou moins réussi. Les dessinateurs textiles ont joué un rôle précurseur dans le processus créatif par l’utilisation de la forme et de la couleur.
Des belles indiennes aux étoffes élaborées
Dès la seconde moitié du 17ème siècle le succès des premières indiennes arrivées en occident est largement dû à leurs riches couleurs. Elles illuminent les intérieurs et les vêtements des européens. Rapidement les manufactures occidentales s’en inspirent et elles forment les premières bases du vocabulaire décoratif textile. Les couleurs naturelles, essentiellement la garance et l’indigo, limitent la palette créative mais la fantaisie des dessinateurs n’a pas de borne pour inventer de nouveaux dessins. Ceux-ci sont d’ailleurs à la base du succès commercial. Le dessin doit donner envie de consommer. Il faut sans cesse renouveler l’offre et les dessinateurs vont passer maître dans l’utilisation de la forme et la couleur pour échapper à la réalité naturelle.
L’harmonie des couleurs est un sujet récurrent dans le textile. Déjà dans l’antiquité, les problèmes de la relation des couleurs entre elles et de l’influence de la lumière sur ces dernières sont posés pour le tissage des étoffes.
A l’origine, le coloriste a peu de teintes à sa disposition. Jusqu’à l’invention des premiers colorants synthétiques dans les années 1850, les couleurs naturelles pour la teinture ou l’impression sont issues de la pourpre, la garance, le pastel, l’indigo, le kermès, la cochenille, le safran et l’oseille. En Alsace, Jean-Michel Haussmann (1742-1829), manufacturier au Logelbach près de Colmar, a été un précurseur en améliorant l’application des mordants sur les toiles de lin ou de coton. Dans les années 1790, des colorants minéraux apparaissent tels que le chamois de l’hydrate d’oxyde ferrique, l’orangé de l’antimoine, le bleu de Prusse et le bistre du manganèse.
Dès le 18ème siècle, les dessinateurs textiles s’inspirent de l’infiniment petit que le perfectionnement des microscopes leur permet d’appréhender. Ils créent des étoffes abstraites ou couvertes de modules ressemblant à des cellules.
Au 19ème siècle les débuts de la chimie, l’amélioration des techniques de gravures, l’utilisation de la laine débrident leur imagination. Sans idéologie, mais par nécessité commerciale, ils utilisent des formes abstraites ou géométriques, s’inspirent du mouvement, utilisent la troisième dimension pour créer des étoffes cinétiques ou construites.
Toujours plus de couleurs
Au 19ème siècle, les recherches des chimistes Claude Louis Berthollet (1748-1822), Etienne Chevreul (1786-1889), Wilhelm von Hofmann (1818-1892) et William Henry Perkins (1838-1907) posent les bases scientifiques des interactions des couleurs et conduisent à la création des teintures synthétiques. L’élargissement de la gamme chromatique, les études sur les contrastes et l’harmonie des couleurs ouvrent au monde textile des possibilités créatives nouvelles et influencent l’art du teinturier coloriste et le vocabulaire décoratif traditionnel.
Les travaux de Michel Eugène Chevreul (1786-1889) ont eu une influence déterminante sur l’art décoratif et particulièrement sur la peinture et par extension sur les dessins textiles. Chimiste, il met au point sa théorie des contrastes en étudiant le rapport des couleurs entre elles dans les tissages des tapisseries. En 1864, il publie, Des couleurs et de leur application aux arts industriels. Ils offrent les cercles chromatiques qui doivent aider à l’utilisation harmonieuse des couleurs.
Art et textile
Au 20ème siècle, la peinture moderne reprend ces principes accompagnés d’un discours au travers de peintres comme Delaunay, Mondrian, Albers ou Vasarely. Dans les années 1930, le style art déco produit des étoffes géométriques très graphiques qui accompagnent le mobilier et la décoration de l’époque. Dans les années 1950-60, la peinture inspire l’univers textile au travers de mouvements comme l’abstraction géométrique ou lyrique. Dans les années 1970, une géométrie cinétique couvre les tissus. De nos jours l’abstraction colorée du Street-art renouvelle le vocabulaire décoratif textile. Les mouvements artistiques ont influencé le textile. Parfois les dessinateurs ont été des précurseurs et ont produit des motifs d’avant-garde, parfois, ils se contentent de s’en inspirer ou de les copier. En 1965, Yves Saint Laurent crée pour sa collection Automne/Hiver sa légendaire robe Mondrian, inspirée du célèbre peintre Piet Mondrian autre inventeur de l’abstraction. Celle dernière fera l’objet de nombreuses copies.
De gauche à droite :
Echantillon à dessins guillochés et cercles, Angleterre, vers 1853 – Toile de coton imprimée au rouleau
Echantillon pour l’habillement, France, vers 1852-1855 – Mousseline de laine imprimée à la planche
De gauche à droite :
Dessin géométrique, Allemagne, Atelier Lehnert, vers 1970 – Gouache sur papier
Robe à bretelles, France, Mulhouse, « Boutique Amandine, Mulhouse », 1970 – Toile de coton imprimée au cadre
Dessin à motif de cercles et carrés, France, Paris, dessinateur Roger Kluczewski, vers 1970 – Gouache sur papier
De gauche à droite :
Motif imbriqué au chinois, France, Jouy-en-Josas, manufacture Oberkampf, vers 1790-1791 – Toile de coton imprimée à la planche
Motif imbriqué au chinois, France, Alsace, manufacture Thierry Mieg & Cie, vers 1850 – Toile de coton imprimée à la planche
De gauche à droite:
Carré à motifs géométriques, France, 1980 – Taffetas de polyester imprimé
Lé d’ameublement - France, Paris, éditeur Jean Bauret, société de la Lys, dessin de Serge Poliakoff, 1947-48 - Toile de coton imprimée à la planche
Lé d’ameublement, France, Paris, éditeur Jean Bauret, société de la Lys, dessin de Serge Poliakoff, 1947-48 –Toile de coton imprimée à la planche
De gauche à droite:
Echantillon pour l’ameublement « Valence », France, Boulogne sur Mer, Tissage au Moderne, collection Carlos Leprêtre, dessinatrice Franette Guérin, 1959 – Toile de coton imprimée au cadre
Lé d'ameublement « Street Dyptique », France, éditeur Pierre Frey, création Charles Pringuay – Toile de coton imprimée au cadre, don de Monsieur Patrick Frey
Dessin géométrique pour impression sur coton, France, Alsace, Mulhouse, manufacture Thierry-Mieg & Cie, vers 1848-1850 – Gouache sur papier
Tel un abécédaire que l’on passerait en revue, les créations les plus emblématiques de grands couturiers du 20ème siècle ont pris place ici pour une expo totalement inédite.
Si Azzaro se distingue par ses couleurs envoûtantes et ses découpes audacieuses, Jean-Charles de Castelbajac impose son univers fait de couleurs primaires, alors que Kenzo incarne l’exotisme polychrome. Les créations haute couture du Maître d’art Franck Sorbier exaltent le rêve et l’évasion : le créateur dévoile un monde tout en couleurs qui ouvre ses portes sur un imaginaire débridé. Quant à Jeanne Lanvin, elle apprécie énormément les couleurs, sa couleur fétiche, le bleu Lanvin, le rose Polignac – en hommage à sa fille – ou, encore, le vert Vélasquez sont des classiques de la maison. Pour conserver l'exclusivité de ses couleurs, elle fonde ses propres ateliers de teinture à Nanterre en 1923.
Plongées dans l’obscurité d’une nuit étoilée, les silhouettes de cette exposition se découpent dans un arc-en-ciel de couleur… une invitation pour le visiteur à pénétrer dans cet univers crépusculaire et se laisser surprendre par ces créations multicolores et hétéroclites. L’essence même d’une création couture, son aspect plastique, ne réside-t-il pas dans sa forme, sa couleur, sa matière ? Les grands couturiers du 20ème siècle ont eu abondamment recours à ce vivier inépuisable d’inspiration qu’offre l’utilisation des formes et des couleurs. Témoins de leurs temps, des évolutions de goûts, de mœurs, ils jouent dans leurs processus créatif de l’emploi de ce vocabulaire décoratif. Les formes se font cubistes, déstructurées, géométriques, épurées, en écho à des couleurs primaires, lumineuses, nuancées. Leur emploi, leur combinaison, leur confrontation ne sont pas neutres mais constitue l’ADN d’une création, la sensibilité d’un créateur.
Sur la photo de gauche : Loris Azzaro, Claude Pétin, Jean-Charles de Castelbajac
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