Le carnet d'Intima
05 mai 2016
Installé dans les galeries d’études, cet événement est le premier grand hommage jamais rendu à cette figure majeure de la décoration intérieure. À travers un parcours chronologique retraçant 80 années de création, œuvres et savoir-faire définissant l’esprit et le regard de Pierre Frey sont ainsi mis en lumière. Cette présentation inédite de tissus et de papiers peints côtoie non seulement les collections permanentes du musée, mais également des travaux d’artistes contemporains réunis en exclusivité pour l’occasion. Ces derniers permettent de se rendre compte de l’impact considérable de Pierre Frey sur les pratiques artistiques actuelles. En célébrant l’histoire et l’identité de cette maison, l’exposition plonge le visiteur dans les coulisses du métier d’éditeur de tissus d’ameublement et de papiers peints afin de révéler ses sources d’inspiration et ses méthodes de production. Résolument très intéressantes, les créations exposées sont aussi particulièrement suggestives pour les fabricants textiles tandis qu’elles émerveilleront tous les amoureux de motifs… voilà pourquoi Intima a décidé de vous en mettre plein les yeux en vous proposant, encore une fois, une magnifique visite en images.
Près de 200 travaux
Cette exposition révèle les plus belles réalisations conçues par la Maison Pierre Frey depuis 1935. En se déployant dans six salles, l’ensemble présente près de deux cents travaux issus des collections du créateur, mettant ainsi en avant l’éclectisme et les collaborations artistiques qui ont jalonné son histoire. Né en 1903, il fait ses premiers pas dans le monde des tissus d’ameublement à l’âge de 17 ans, en tant que coupeur pour la Maison Burger. Il devient ensuite directeur de la Maison Lauer où il rencontre le dessinateur Jean Chatanay, avec lequel il s’associe pour créer leur propre société. En 1937, après avoir racheté les parts de son collaborateur, il inaugure la Maison Pierre Frey, installée au 47 rue des Petits-Champs, où se trouve encore le siège social de l’établissement. Les valeurs qu’il instaure à l’époque demeurent aujourd’hui intactes grâce à ses trois petits enfants et son fils, Patrick Frey qui est responsable de la Maison depuis 1975.
Dès la première salle sont expliquées les étapes et les méthodes nécessaires à l’élaboration d’un textile initiant ainsi le visiteur au métier d’éditeur de tissus. Grâce à l’intervention d’un dessinateur, d’un tisserand et d’un imprimeur, Pierre Frey mène un travail d’équipe, où l’implication de chacun est essentielle pour répondre à son exigence de qualité. De l’ébauche au produit fini, les pièces exposées enrichies de motifs, de couleurs et de matériaux variés sont mêlées pour évoquer l’identité stylistique du créateur. La suite du parcours de l’exposition présente des textiles et des papiers peints emblématiques, disposés aux côtés d’œuvres du Musée des Arts Décoratifs. L’association des créations Pierre Frey avec ces objets permet d’insister sur les contextes historiques et artistiques dans lesquels ces travaux ont été réalisés et de faire revivre les goûts et les tendances de temps révolus. Cette approche historique du travail de Pierre Frey est également revisitée par une vision contemporaine, afin d’insister sur la modernité de son travail qui reste au cœur de l’actualité.
Quatre designers invités
Cette présentation est complétée par l’accrochage de quatre collections capsules de designers contemporains qui ont été invités à un exercice de style afin de rendre hommage à Pierre Frey. Dans l’espace dédié à la période 1935-1959, Julien Colombier crée ainsi un imprimé aux couleurs franches réagissant différemment aux lumières naturelle et ultraviolette, offrant une perception changeante de l’étoffe en fonction de l’éclairage. En regard des créations des années 1960-1979 de Pierre Frey, Benjamin Graindorge expose un papier peint pour lequel il a choisi de travailler sur des problématiques de perception visuelle et choisit le pixel comme unité, rejoignant ainsi l’esprit de l’Op’ Art du début des années 1970. Quant à Marcel Wanders, il vient revisiter les travaux des années 1980-1999, pour réinterpréter le thème de la fleur, un motif permanent. Et, enfin, Nao Tamura, en résonnance aux étoffes de la Maison Pierre Frey des années 2000-2015, puise dans son univers personnel pour créer un jacquard où le thème de la nature est omniprésent. Pour ce projet, la Maison a souhaité que le tissu soit réalisé dans son usine située dans le nord de la France. L’exposition se termine avec un hommage à la Maison Pierre Frey rendu, cette fois-ci, par sept artistes d’univers et de nationalités différents. Chacun a été sollicité pour travailler sur les concepts de la maison: la couleur, l’encre, l’histoire, la matière, le motif et le bruissement de l’étoffe. Julien Salaud, Peter Gentenaar, Michelle Taylor-Dorset, ou encore Paule Riché, Kumi Yamashita, et enfin Memo Akten et Label Dalbin, font revivre, tout en le métamorphosant l’esprit créatif de la Maison Pierre Frey qui allie tradition et modernité tout en étant tournée vers l’avenir.
La maison Pierre Frey
(Extrait du livre: «Dialogue avec la création contemporaine» - Sophie Rouart)
Pourquoi utiliser le terme de maison plutôt que d’entreprise pour qualifier Pierre Frey? Une maison se caractérise par son esprit, sa capacité à se transcender, son audace et sa philosophie. (…) Au commencement, il y a un homme, Pierre Frey. Né le 29 décembre 1903, il passe son enfance à Douai. La crise des emprunts russes le pousse à s’installer à Paris avec sa mère. (…) Il débute sa carrière professionnelle à l’âge de dix-sept ans chez un chapelier avant d’être recruté par la maison Burger, fabricant de tissus d’ameublement, comme coupeur. (…) En 1933, il devient directeur de la maison Lauer, également éditeur de tissus, où il croise l’artiste Jean Chatanay. Cette rencontre marque le début d’une nouvelle aventure professionnelle. Le 27 décembre 1934, les deux hommes s’associent pour créer la société Chatanay et Frey. Son expérience chez Burger lui permet de connaître les désirs et les besoins des décorateurs. Jean Chatanay apporte ses compétences techniques. Au départ, la société est installée rue des Jeûneurs à Paris. Pierre Frey est tour à tour créateur, vendeur, représentant, patron, livreur. (…) Le succès venant rapidement, Pierre Frey commence à teindre en fil certains coloris (…). En avril 1936, (…) la société prend le nom de Pierre Frey et déménage en 1937 au 47, rue des Petits-Champs (…). Les premiers imprimés sont édités en 1936 grâce à deux décorateurs, Jacques et Henri Barroux, qui financent leur réalisation. Le succès de ces premières réalisations rend possible le développement de nouvelles créations. L’épopée des imprimés Pierre Frey est lancée. (…) Le 3 septembre 1939, la France entre en guerre. (…) Grâce aux métiers à bras, la société est inscrite au registre du commerce comme «artisan». Cette particularité lui permet, contrairement à ses concurrents qui ont fermé, d’obtenir une aide sous la forme de bons matières et de maintenir une activité. Bien que les métrages ne suffisent pas à répondre aux besoins, il en conserve toutefois une part afin d’élaborer une collection d’imprimés, anticipant la fin de l’Occupation. Pour ce faire, bravant les difficultés et les risques, il achète de nombreux dessins à des artistes comme Jean-Denis Malclès, Jacqueline Guidoux-Desfontaines ou Jean Chatanay et les fait graver par Brunet Lecomte.
Cette intuition lui permet de produire abondamment dès que l’approvisionnement en matières premières s’améliore et que les outils de production sont remis en ordre de marche, en 1946. (…) Au cours des années 1950, ses collections s’exportent en Suisse, en Angleterre, en Belgique et aux États-Unis. (…) Parallèlement à la création de tissus destinés à l’édition, il crée des modèles en exclusivité pour les décorateurs, Alavoine, Mauny, Beranger, pour la styliste Elsa Schiaparelli et bien sûr pour Carlos de Beistegui. (…) Patrick Frey, qui rejoint la société en 1969, se donne pour mission de perpétuer l’action menée par son père. (…) Dans un contexte économique plus difficile, il réussit à développer la maison en s’appuyant sur les concepts suivants: Une création éclectique, qualitative et originale, pivot central de la maison. Une communication maîtrisée. (…) Patrick Frey imagine toute une ligne d’accessoires (sacs, vaisselle, carrelage, coussins, nappes, foulards, etc.) qui est commercialisée sous la marque Patrick Frey de 1983 à 1997. (…) Aujourd’hui, la notion de décoration globale intègre les tissus, les papiers peints, les meubles, les luminaires, les tapis, les moquettes et quelques accessoires. (…) En 1980, un showroom conçu par Andrée Putman ouvre ses portes rive gauche à Paris. (…) En 1991, Fonthill Ltd devient le distributeur exclusif américain de Pierre Frey. (…) À partir des années 1990, de nombreuses filiales sont ouvertes à l’étranger: États-Unis, Angleterre, Suisse, Allemagne, Italie, Dubaï et plus récemment à Singapour. Patrick Frey souhaite valoriser le savoir-faire français et participer au rayonnement de la France à sa mesure. Pierre Frey entre au Comité Colbert en 1976. En 1989, il se porte acquéreur de l’usine Denimal, spécialisée dans le tissage (…), liée à la maison depuis longtemps et désormais labellisée Entreprise du patrimoine vivant. De plus, il rachète plusieurs marques emblématiques françaises qui racontent à leur façon l’évolution du goût et de la manière de vivre depuis le XVIème siècle. Les marques Braquenié, Lauer, Boussac et Fadini-Borghi et Le Manach, rachetées de 1991 à 2013, offrent un large panel d’étoffes représentatif de l’évolution du textile d’ameublement à travers les siècles. Aujourd’hui, cette maison est toujours dirigée par Patrick Frey, entouré de ses trois fils, Pierre, Vincent et Matthieu. Ainsi, l’esprit d’origine se transmet de génération en génération.
De l’ébauche au produit fini, les pièces exposées enrichies de motifs, de couleurs et de matériaux variés sont mêlées pour évoquer l’identité stylistique du créateur.
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